RB 94>04 – d’Rockbuch

RB94>04 – d’Rockbuch retrace la culture pop-rock luxembourgeoise des dix dernières années en une trentaine de textes analytiques d’auteures différents, avec une partie lexicale de plus de 500 artistes, sous la direction de josée hansen, lexique par Christophe «Unki» Unkelhäusser, mise en page par Marianne Grisse, avec des photos d’Eric Chenal, de David Laurent & d’Olivier Minaire (agence Blitz!)

Intro «D.I.Y.»

 

La blague circule dans les milieux journalistiques: «Si tu veux lire un bon article, écris-le toi-même». Dans un certain sens, ce livre-ci a aussi un côté D.I.Y., do it yourself, car qui veut lire un article sur la culture rock au Luxembourg doit quasiment l’écrire soi-même. En l’absence de médias spécialisés, avec une industrie musicale qui reste encore au stade embryonnaire, les musiques populaires restent peu décrites au Grand-Duché.

Et pourtant, non seulement la production pop-rock nationale est-elle particulièrement riche et vivante en ce début de millénaire, mais en plus, elle est le reflet de la société dans laquelle elle se crée et exprime donc des vérités qui vont bien au-delà de considérations stylistiques ou esthétiques. Les jeunes adultes d’aujourd’hui ont tous grandi avec la pop, la disco, le rap, le hardcore, le punk ou la techno, ils se sont politisés ou révoltés sur un riff de guitare ravageur, sont tombés amoureux aux sons d’une ballade sirupeuse ou associeront à jamais leur premier baiser avec une mélodie d’amour languissante.

Ce livre est né d’un véritable désir de fan: en savoir plus sur les musiciens passionnants dont on a pu vivre des concerts impressionnants ou écouter les disques émouvants, et partager ce savoir au-delà de la tradition orale qui persiste dans ce domaine. La rencontre avec Christophe «Unki» Unkelhäusser, animateur depuis plus de dix ans de l’émission Bloë Baaschtert sur Radio Ara, a rendu le projet possible. Une entreprise qui avait deux ambitions: d’une part, continuer à écrire l’histoire du rock là où le pionnier Luke Haas s’est arrêté, après trois livres, en 1995. Et de l’autre, celui de faire intervenir une nouvelle génération d’auteurs et d’auteures venus d’horizons très divers, qui puissent contribuer à articuler les multiples aspects des musiques populaires.

«Avoir son nom dans un journal, nous a dit un musicien, c’est déjà beaucoup, mais mon nom dans un livre, cela veut dire que ce que je fais mérite une certaine reconnaissance.» La culture pop-rock était loin d’avoir la reconnaissance qu’elle méritait jusqu’à présent, on pourrait même dire que celle-ci était inversement proportionnelle à son foisonnement. Après deux ans de recherches, nous avons recensé plus de 500 groupes, musiciens et projets ponctuels qui ont existé durant la décennie écoulée – et il en manque certainement encore, dont nous n’avons pas réussi à retrouver la trace.

En 2004, le rock’n’roll a fêté son cinquantenaire, sa naissance étant communément datée à l’enregistrement de That’s All Right Mama par Elvis Presley à Memphis. Pour ce cinquantenaire, l’État luxembourgeois érige un temple du rock à Esch: la Rockhal sur la friche de Belval-Ouest ouvrira ses portes en automne 2005 et accueillera non seulement deux salles de concert, mais aussi et surtout un Centre de ressources avec salles de répétition, studio d’enregistrement et centre de documentation. Ainsi, la Rockhal pourrait devenir le cœur et le cerveau des musiques pop-rock au Grand-Duché. Le fait que ce livre soit une publication nationale, donc éditée par l’État, constitue peut-être aussi une petite pierre à l’édifice de cette reconnaissance tardive de tout un secteur culturel et économique. Tout comme la présence, pour la première fois, du ministère de la Culture avec un stand au Midem 2005 à Cannes, le plus grand marché du disque et de l’édition musicale en Europe..

«Le Luxembourg n’est pas une île » se plaisent à constater les économistes aussi bien que les politiciens quand ils parlent de politique européenne, de compétitivité de l’économie ou de la mondialisation. En musique pop-rock toutefois, le pays reste au moins une presqu’île: si les tourneurs des grands groupes de rock ont découvert la Coque, les prés verts, les stades et les patinoires pour l’organisation de méga-concerts et si des organisateurs privés et publics de taille moyenne (Atelier, Kulturfabrik…) réussissent à offrir une programmation régulière et de qualité, on ne peut que regretter que dans l’autre sens l’échange ne fonctionne pas encore vraiment: import, oui, export,… bof!

Les labels sont à Bruxelles, à Paris ou à Berlin et ne semblent pas s’intéresser à une si petite scène musicale, qui manque autant de grandes stars que de masse critique de consommateurs pour attirer l’attention.

Or, avec des frais incompressibles de la production d’un CD ne permettant d’atteindre le break-even qu’aux alentours de 2000 exemplaires vendus, et des ventes nationales stagnant autour des 600 à mille exemplaires, l’export vers un marché plus large pourrait aussi être une nécessité dans un business-plan – si le secteur fonctionnait selon des critères économiques. Ce qui n’est pas toujours le cas, le besoin de s’exprimer et de vibrer avec la musique restant prédominant. Heureusement.

Comme si souvent, les artistes ont alors recours au système D, cherchant à contourner les conditions matérielles difficiles pour rendre possible l’impossible. On peut donc estimer que ce qui a fait exploser la production musicale au Luxembourg, c’est la démocratisation des moyens de production par la percée de l’informatique, faisant chuter les prix du matériel, ceux des enregistrements et ceux des logiciels. Donc, paradoxalement, la production musicale luxembourgeoise est à son apogée alors même que l’industrie internationale connaît une grave crise, elle aussi déclenchée par l’informatique, notamment Internet et les sites de partage de fichiers (peer to peer). Pour les groupes luxembourgeois toutefois, Internet représente une vraie chance, un moyen rêvé de viser un public international sans devoir passer par des intermédiaires, mais en se présentant directement avec leur propre site Internet. Et pour le budget de l’État, le fait qu’iTunes Europe paye ses impôts au Luxembourg parce que son siège y est établi depuis 2004, représente aussi une retombée non négligeable venant de la musique populaire.

Ceci dit, malgré quelques success stories personnelles, malgré de très bons disques, voire des ventes respectables et des tournées internationales – notamment pour des groupes qui se positionnent clairement dans des niches –, la musique pop-rock reste pour la plupart des musiciens et musiciennes un hobby, un passe-temps à côté d’un métier « sérieux » ou du moins d’un gagne-pain. Les C.V. de beaucoup de formations se ressemblent: premiers concerts à la fin des années lycée, premier CD puis les choix de vie les sépare, rendant une suite des activités extrêmement difficiles, études supérieures ou premier emploi, carrière, famille. Les groupes qui ont enregistré deux disques avec les mêmes musiciens sont déjà beaucoup plus rares, ceux qui le font dans un studio, dans des conditions professionnelles davantage encore. Difficile dans ces conditions de construire un savoir, un savoir-faire et une communauté de fans qui s’identifient pleinement au groupe.

Si l’industrie du disque est en crise, celle des concerts et du live est, au contraire, florissante – et pour une fois, le Luxembourg est en phase avec le phénomène international. Depuis le succès fulgurant du concert des Rolling Stones – 60000 spectateurs en un seul soir, en 1995 –, les concerts de grande envergure se sont multipliés. Les organisateurs de concerts toutefois n’étaient pas toujours des plus honnêtes, annulant des concerts, travaillant avec des méthodes peu orthodoxes, ne payant pas les artistes – et ont beaucoup nui à la réputation du Luxembourg dans les milieux spécialisés et de leur profession dans le grand public.

Parallèlement aux grands événements, les festivals de taille moyenne se sont multipliés, les Rock um Knuedler, Rock um Séi, e-Lake ou Rock am Wéngert, les Sonic Faces et autre Liberation Day, créant de véritables ambiances festivalières le temps d’un week-end, la plupart du temps en été.

Certes, rien ne pourra jamais remplacer la chair de poule, la rage, le bonheur, la pêche ou la tristesse que l’on peut ressentir lors d’un concert, au milieu d’une foule en liesse. Mais peu à peu, les articles, les livres, les CD, les brochures, les sites Internet, le bouche-à-oreille, les pétitions comme celle de la Sacem pour l’introduction de quotas, les fanzines, les émissions de radio et de télévision, le béton de la Rockhal, la multiplication des compilations thématiques, les affiches de concerts… tout contribue à rendre le rock plus visible aussi, à le prendre au sérieux et à en faire une discipline artistique avec un public et des acteurs qui ont les mêmes droits que ceux du théâtre, de la littérature, du cinéma ou de la musique classique.

La musique pop-rock, internationale dans son essence même n’a pas besoin de protectionnisme. Pas plus que cette musique contestataire et rebelle ne se laisse institutionnaliser. Mais elle a besoin d’être jouée et écoutée bien sûr, mais aussi d’être considérée, de s’archiver, de se réfléchir, de s’analyser, d’être défendue et d’être critiquée, d’être aimée et haïe comme peuvent l’être tous les arts. Elle a besoin d’un public un peu plus curieux et de défricheurs de talents, d’agents courageux et de financiers optimistes, d’organisateurs sérieux et de structures professionnelles, de relais pour l’export et de défenseurs des droits des auteurs. Les groupes, eux, ont un besoin urgent de salles de répétitions, de voisins plus tolérants et de possibilités de donner des gigs dans des bars et des clubs, qui soient complémentaires et leur permettent de rôder leur spectacle. Ils ont besoin de se professionnaliser aussi, d’apprendre toutes les ficelles du métier – qui dépassent le seul plaisir de jouer ensemble et de s’exprimer.

Il y a, en 2005, comme une nervosité, une urgence dans le rock, comme si le moment de passer à la vitesse supérieure était venu. Les associations sans but lucratif ont atteint les limites du bénévolat. Des structures étatiques, para-étatiques et privées se mettent en place en parallèle, c’est un moment unique. Pour parler cuisine, on pourrait comparer le rock luxembourgeois en ce moment à une sorte de soufflé: tous les ingrédients – la qualité, la quantité, le contenu, le style et le public – sont réunis pour faire monter la pâte. Mais les gastronomes savent qu’au moindre petit problème, que ce soit un mauvais dosage ou de mauvaises conditions, le tout risque de retomber aussi vite. Aux prochains auteurs de décrire la suite.

josée hansen, 2005

 

Index

 

Twist à Luxembuar

Romain Hilgert über die Verbindungen zwischen Politik und Rock

 

The real life

Gast Waltzing décrit comment faire sa vie en tant que musicien

La bande-son de nos vies

Olivier Treinen sur l’influence de la musique sur sa génération

 

«Dat kann ech och»

Serge Tonnar parle de la démocratisation de la production musicale

Schluechthaus, Ratelach, Kulturfabrik

Lex Thiel sur la culture underground

 

21st century digital boy

Michel Welter présente projets solos et hommes orchestres

Mick, John und der Rockboom

Sascha Lang über Mega-Events und Festivals

 

À la recherche de la nouvelle star

Claudine Muno raconte le festival Emergenza

Wo bleibt der Ruhm?

Renl Penning über die Professionalisierung der Rockszene

 

Rockhal rédemptrice?

Vassilissa Lyoubovin revient sur les 25 ans de discussions qui ont précédé le lancement de la Rockhal

Wo bitte geht es hier zur Grenze?

Daniel Balthasar über Poprock als Exportartikel

 

Rendez-vous dans dix ans

Dany Lucas décrit le marché de la musique pop-rock au Luxembourg

Konzertparadies Luxemburg?

Nico Pleimling und Mike Tock stellen Veranstalter und Venues vor

 

Sortir de la préhistoire

Sam Tanson a enquêté sur les questions essentielles des droits d’auteur et l’archivage

Entre flexibilité et responsabilité

Olivier Toth explique le statut des asbls organisatrices

 

Les copains d’abord?

Germain Kerschen tente une sociologie du public

 

Was dichtest Dudnda?

Jérôme Konen wagt eine Textanalyse

 

Envol tardif

Jitz Jeitz présente la scène jazz

Die Kraft der Konsequenz

Jacques Wenner über Politrock

 

Prozess und Exekution

Fern Laures über Industrial und Elektro

«Can someboy plug me in?»

Karin Faber & Véronique Faber and the gender question

 

Les rythmes de la révolution digitale

Patrick Wilwert sur la révolution Internet

«Open up and say… Ahhh!»

Romuald Collard sur les scènes metal, heavy, hardcore, neo…

 

Xpress yourself!

Dan Luciani et l’histoire peu connue des fanzines de musique

C’est arrivé près de chez vous

josée hansen a interrogé les médias luxembourgeois sur la place du pop-rock luxembourgeois à l’antenne et la possibilité de quotas

 

«Mir hunn e Videoclip gemaach»

Yann Tonnar dresse une histoire des clips luxembourgeois

 

I love Andy Warhol

josée hansen sur la transdisciplinarité et le crossover

 

See the sound of silence

josée hansen sur l’esthétique des flyers

 

All that Rock

De AB Joe à Zeus: sur une centaine de pages, Christophe «Unki» Unkelhäusser a réuni les informations sur quelque 500 artistes et groupes pop-rock pour la partie lexicale du livre, avec aussi un répertoire des labels ou des compilations de musique

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Article sur le «Rockbuch» paru dans le journal satirique Den neie Feierkrop

Article sur le «Rockbuch» paru dans le journal satirique Den neie Feierkrop

Réception

 

«Les bandes sons de notre vie» – Critique du livre par Stéphane Ghislain Roussel dans le Lëtzebuerger Land du 12/08/05

«Wéi heescht de Gull richteg?» - Entretien, par Claudine Muno, avec Christophe «Unki» Unkelhäusser dans le Woxx

«Ces pages de passé proche enfin écrite» – Critique du livre par Vincent Artuso dans le Tageblatt du 26/09/05

«Passer à la vitesse supérieure - Le Rockbuch 1994-2004 est plus qu’une anthologie ou un lexique, c’est une véritable mine d’informations sur la scène musicale luxembourgeoise» – France Clarinval dans sa critique du livre dans Le Quotidien du 29/06/05

«Rock-in-Chair» - entretien par Philippe Koessler avec josée hansen, dans Nico

«Attention Rock rules - mais pas seulement» - critique du livre par Karolina Markiewicz dans Salzinsel 2/2005

«Cadences indigènes - Le ‘Rockbuch RB94>04’, table de mixage multipistes pour un soundcheck des musiques ‘amplifiées’» - présentation du livre par Gaston Carré, dans le Luxemburger Wort du 21/07/05

«Rockbuch 1994>2004» – «Alles an allem ass d’Rockbuch baal incontournable fir Leit, dei un der lëtzebuerger Rock-Pop-Musekszene interesséiert sin. Ett mecht Spass duerch den Lexikon ze bliederen an d’Essayen sin interessant an informativ.» - TVG dans Queesch n°10/05

«Cette décennie d’histoire musicale est faite de provincialisme et d’ouverture sur le monde. Elle nous raconte l’abondance des moyens techniques et les désillusions, elle nous parle des rêves d’avenir et parfois, de la médiocrité des ambitions.»

— Vincent Artuso, Tageblatt, 26/09/2005

 

josée hansen (éditrice) & Christophe «Unki» Unkelhäusser (partie lexicale) : RB94>04 -d’Rockbuch, photos: Eric Chenal, David Laurent et Olivier Minaire (agence Blitz!), mise en page: Marianne Grisse; Publications nationales du ministère de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2005; 306 pages; ISBN 2-87984-011-2.

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