Piccolo Teatro

Deux ans de rencontres théâtrales au Luxembourg

Le théâtre, aurait dit Max Reinhardt, est le repaire bienheureux de ceux qui ont secrètement caché leur enfance dans leur poche et se sont enfuis avec afin de pouvoir jouer jusqu’à la fin de leur vie. Piccolo Teatro est un livre fait de rencontres d’une multitude de gens de théâtre luxembourgeois ayant fait du jeu leur métier. Ils jouent à faire naître des univers entiers à partir d’un texte et d’un espace scénique, ils jouent à imaginer d’autres vies, d’autres sociétés possibles, ils jouent à rester enfants et à braver la mort.

Durant deux ans, josée hansen et Eric Chenal ont écouté et observé les gens de théâtre autochtones, acteurs et metteurs en scène, auteurs et dramaturges, scénographes et costumières, directeurs de théâtres et techniciens, politiques et critiques: les personnalités qui peuplent ce microcosme sont aussi passionnantes que leurs métiers sont divers.

Ce livre est une tentative de capter cet instant précis de l’évolution du théâtre au Luxembourg, où les pionniers ont laissé la place à une nouvelle génération, qui trouve normal de faire du théâtre non seulement son métier, mais sa vie.

Didascalies

 

J’aime les gens. Les gens normaux, ceux qui constituent cette humanité dont le Lenz de Büchner dit qu’on doit l’aimer «pour pénétrer l’essence particulière de chacun». Durant les deux années qu’a duré le travail sur Piccolo Teatro, ce puissant texte de Lenz m’a accompagnée parce que Frank Feitler l’a mis en scène en monodrame au Théâtre national, majestueusement servi par Luc Feit, et, la saison suivante, André Jung joua le narrateur dans une version tout aussi épurée, à trois, dans une mise en scène de Werner Düggelin à Zürich. Frank Feitler et André Jung étaient dès le début de ma réflexion sur la nécessité de ce livre deux piliers de sa structure.

Il faut beaucoup aimer les hommes, comme dirait Duras, surtout si on aime le théâtre. Parce que le théâtre est non seulement l’art de l’illusion et de l’éphémère, mais aussi un art collectif dans son essence-même. Après la musique pop-rock dans le Rockbuch (2005) et l’art contemporain dans Piccolo Mondo (2015), voici donc un livre sur le théâtre. Il s’est imposé parce que le spectacle vivant se trouve à un moment-charnière de son évolution au Luxembourg et que des choses fascinantes s’y passent. Après les pionniers – Tun Deutsch, Marc Olinger, Philippe Noesen, Marja-Leena Junker, Frank Feitler, Charles Muller ou encore Frank Hoffmann – qui ont construit et structuré la scène autochtone telle que nous la connaissons aujourd’hui, un changement de génération radical a eu lieu. Aujourd’hui, des professionnels émancipés – souvent des femmes d’ailleurs (Myriam Muller, Carole Lorang, Anne Simon) – ont pris le pouvoir et s’affirment. Des quadras aux millennials, être acteur, metteur en scène ou scénographe est un métier qu’ils ont choisi et appris dans des écoles supérieures spécialisées à l’étranger. Travailler au Luxembourg n’est plus vécu comme un échec, mais comme une étape parmi d’autres dans un parcours tout naturellement international. Ma première ambition était donc de fixer ce moment et ses souvenirs parce que scripta manent.

La deuxième ambition étant de partager ma passion pour le théâtre – et, tant que faire se peut, aussi la leur. Comme j’aime les gens et le théâtre, et davantage encore les gens de théâtre, j’ai voulu les rencontrer, les écouter, les comprendre. En deux ans, j’ai réalisé plus de 75 entretiens, au Luxembourg, à Hambourg, à Zurich et à Francfort, tentant de présenter tous ces acteurs et actrices, auteurs, dramaturges (terme utilisé dans le livre en équivalent du Dramaturg allemand), metteurs en scènes, directeurs de théâtres ou de festivals, scénographes, costumiers, techniciens, critiques qui me fascinent. Ce livre, c’est la réduction de centaines d’heures de discussions. Mais c’est un livre forcément subjectif, car ces deux années, personne d’autre, même fan de théâtre, ne les aura vécues de la même manière.

J’ai plein d’amis qui détestent le théâtre. «C’est que des gens qui crient sur scène», dit l’un, «on est enfermé pendant des heures» tel autre – enfermé en plus sans pouvoir consulter sa page Facebook, son Instagram ou son Whatsapp. À l’heure de l’hyperstimulation et de la dématérialisation de la culture, aller au théâtre est presque devenu un anachronisme – et c’est ce qui assure sa survie. La preuve: les théâtres sont pleins, ils atteignent des taux de remplissage aux alentours de 90 pour cent au Luxembourg. Faire une expérience commune à regarder une histoire et écouter une pensée pendant deux, trois, voire quatre heures, c’est souvent un concentré d’intelligence, de beauté et d’émotion.

Ça ne l’est pas toujours. Je me suis déjà bien des fois ennuyée à mort ou énervée au théâtre en 25 ans de métier de journaliste culturelle, et fait traiter de tous les noms par des créateurs qui ne supportent pas la critique. Mais c’est parce qu’on aime le théâtre qu’on peut détester le mauvais théâtre, comme le développe le critique allemand Jan Küveler dans son essai Theater hassen.

On peut définir Piccolo Teatro par la négative: ce n’est pas un livre historique, ce n’est pas un livre scientifique, ce n’est pas une anthologie ou une encyclopédie. Il ne parle pas de cabaret, de danse, de théâtre amateur ou de théâtre musical – parce qu’il fallait bien faire un choix, adopter un angle clair. Et vous n’y trouverez ni les ragots, ni les excès, ni les médisances et encore moins les histoires de trahisons qu’on m’a (forcément) aussi racontées. Ce livre est un témoignage, un regard personnel sur le théâtre d’aujourd’hui et tous ces artistes formidables qui nous aident à être pleinement au monde.

Ou plutôt: ce sont deux regards. Le mien, que j’ai eu la chance de pouvoir joindre à celui du photographe Eric Chenal, qui montre une autre vue subjective sur ces rencontres et ces lieux du théâtre. Tous les deux, à notre manière, on a tenté d’éviter les clichés : on ne montre pas d’acteurs dans leur rôle, pas de gens en costumes, pas de divas capricieuses, pas de charme factice, mais des gens qui parlent du théâtre comme interrogation du monde ou simplement plaisir du jeu. Nous avons eu la joie de rencon-trer des gens intelligents, passionnés, généreux, enthousiastes, souvent extrêmement modestes, qui réfléchissent, doutent – et qui, surtout, s’amusent beaucoup. Eux aussi, aiment les gens, leur public.

Piccolo Teatro – clin d’œil au théâtre de Giorgio Strehler à Milan – se veut un livre facile d’accès, qu’on peut lire en chapitres, dans le sens qu’on veut (raison pour laquelle il peut y avoir des redites entre thèmes et portraits, que je voulais individuellement compréhensibles). Il est divisé en deux parties, l’une expliquant le fonctionnement de la scène autochtone, sa structuration et ses métiers et la deuxième dressant de grands portraits de huit artistes que j’estime particulièrement remarquables. Et oui, il arrive encore souvent à la scène autochtone d’être très «piccola», dans un certain provincialisme qui subsiste, sans grande originalité dans la programmation ou l’esthétique, souvent sans fondement théorique et sans mémoire. Entre place financière, niches fiscales et spéculation immobilière, la société luxembourgeoise reste profondément anti-intellectuelle et cela se ressent aussi dans son acception de la culture. Même si un acteur luxembourgeois, Marc Baum, siège aussi au Parlement pour Déi Lénk.

Mais, heureusement, par son côté éphémère, le théâtre, contrairement à d’autres disciplines, se soustrait à la récupération politique pour les clusters et brandings en tous genre. Le théâtre qui touche est souvent fait de «biographies vécues», comme le définit Frank Castorf. Le désastre auquel a mené la tentative de récupération politique de la Volksbühne berlinoise pour des visées de marketing touristique doit servir de mise en garde à tous ceux qui se sentiraient l’âme politicienne.

Au Luxembourg, le théâtre est extrêmement vivant, il continue toujours à se jouer au niveau amateur dans les lycées et dans les villages et se structure en remontant la hiérarchie jusqu’au paquebot de luxe que sont les Théâtres de la Ville. Mais le secteur demeure extrêmement sous-financé par le budget de l’État – surtout en comparaison avec la musique par exemple –, les plus grosses maisons étant des services communaux. Si le Plan de développement culturel élaboré en parallèle à ce livre par Jo Kox pour le compte du ministère de la Culture a dressé un portrait statistique exhaustif de tout le secteur culturel, il s’agit là d’un document abstrait et administratif, qui fournit certes d’importants chiffres et pistes d’amélioration.

Mais Piccolo Teatro en serait alors en quelque sorte un complément, montrant les gens qui produisent ces arts si discutés. C’est une tentative de saisir la société dans sa complexité en en décrivant un fragment. N’est-ce pas la définition même du théâtre ?


Index

 

Première partie:
Les grands enjeux du théâtre par ceux qui le font

Comment on en est arrivé là
Bref retour historique sur l’intrusion de la modernité au théâtre luxembourgeois

Un paysage complexe
Les structures, l’argent et la liberté des théâtres

Cette anarchie créative appelée mise en scène
Les metteurs en scène et le dramaturge

La tête et les jambes ou le corps de l’acteur
Les actrices et les acteurs

Millennial Momentum
Ce qui change avec la nouvelle génération

L’ID du Kapitän Mullebutz
Ou le saut quantique dans le spectacle pour jeunes publics

Entre architecture et espace mental
Scénographes, costumières, coiffeur

Les invisibles
La technique et les coulisses

De Charel an de Fraggel bei de sekundären Analphabeten
Les auteurs de théâtre et leurs textes

De la documentation de l’éphémère et de l’attitude critique comme vertu en général
Les critiques et le photographe de théâtre

Ceux qui m’aiment prendront le train
Travailler à l’international, une évidence

Deuxième partie:
Portraits

André Jung, acteur
Les archipels d’André

Frank Feitler, dramarturge, auteur et metteur en scène
La scène est plus grande que la réalité

Carole Lorang, metteuse en scène et directrice du Théâtre d’Esch-sur-Alzette
Choix de vie, choix de la liberté

Steve Karier, acteur, metteur en scène, directeur du Fundamental Monodrama Festival
La bête de scène

Anne Simon, metteuse en scène
Zeitgeist Baby

Luc Feit, acteur et réalisateur
«La vraie vie est ailleurs»

Marie Jung, actrice
Clown triste

Ian De Toffoli, auteur, éditeur, chercheur
Poète passeur passionné

 

Réception

 

"Nei um Bichermaart” sur le site de RTL.lu

“Am Gespréich” - invitée dans l’émission de Christiane Kremer sur RTL Radio Lëtzebuerg

“Le bonheur du théâtre” - critique du livre par Olivier Goetz dans d’Lëtzebuerger Land, le 15 février 2019

“Générosité réciproque – Un regard personnel sur le théâtre d’aujourd’hui” – critique du livre par Corina Ciocârlie, dans le supplément Livres du Tageblatt, février 2019

“Grande famille, petit monde” - présentation du livre par France Clarincal, sur Paperjam.lu, le 21 février 2019

“Deux ans dans les coulisses” - critique du livre par Pablo Chimienti, dans Le Quotidien du 16 février 2019

“Piccolo Teatro”: critique du livre par Luc Caregari sur Woxx.lu. le 9 avril 2019

“Tritratralala” - présentation du livre par Gabrielle Seil, Revue du 24 avril 2019

“Défense et illustration de la scène théâtrale luxembourgeoise” – critique du livre par Julien Jeusette, dans le Tageblatt du 26 juin 2019

«Piccolo Teatro est donc aussi, forcément, un livre politique. Il dessine un monde qui, pour être ‘piccolo’, n’en est pas moins considérable. Car le théâtre est un microcosme, la représentation limitée d’un monde sans limite.»

— Olivier Goetz dans sa critique parue dans d’Lëtzebuerger Land



josée hansen: Piccolo Teatro – Deux ans de rencontres théâtrales au Luxembourg; photos: Eric Chenal; mise en page: Laurent Daubach/Designbureau; avec le soutien du Fonds culturel national et de la Fondation Indépendance; éditions d’Lëtzebuerger Land, Luxembourg, décembre 2018; imprimé aux Imprimeries Reka; 272 pages, ISBN 978-99959-949-5-2. En vente en librairie, en-ligne, par exemple ici ou ici – ou directement sur le site du Lëtzebuerger Land .

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